Sécheresses, incendies, canicules

“L’exception devient peu à peu la norme”.

A de multiples endroits en Espagne, les pointes de chaleurs intenses et inhabituelles, à plus de 40 degrés se multiplient. Elles sont dues à des bulles de chaleur provoquées par masses d’air torrides en provenance d’Afrique du Nord et de Mauritanie ainsi qu’à une dépression météorologique au Portugal.

Selon OXFAM, 80% des catastrophes naturelles survenues entre 1990 et 2016 sont liées au dérèglement climatique.

Vagues de chaleurs et incendies se multiplient depuis des semaines en Espagne. ALEX ZEA / AP

 Elles ont pour conséquence une multiplication des incendies en Castille-et-Léon, en Catalogne, en Navarre, ou encore en Castille-la-Manche. Des milliers de personnes évacuées, des dizaines de milliers d’hectares brûlés… Les pompiers sont mobilisés sur tous les fronts avec l’aide de l’Unité militaire spéciale. 

Sécheresses et manque d’eau ne sont plus si lointains ou exceptionnels.

Le dérèglement climatique, longtemps illustré presque exclusivement par des ours polaires qui dérivent sur un morceau de banquise, est bien perceptible aujourd’hui, peu importe où l’on vit.

Un des aspects est le manque cruel d’eau dans nos régions. Dans le Gard, l’assec arrive de plus en plus tôt. Les cours d’eau laissent désormais place à des étendues de pierres blanches. 

Tout d’abord, la biodiversité en souffre. Les poissons se voient forcés de remonter les cours d’eau (10 km en 20 ans pour les espèces locales). Les pêches de sauvegarde se multiplient pour éviter que des dizaines de poissons finissent par mourir, stagnant dans ce qu’il reste de la rivière, mais les populations de poissons baissent dramatiquement. 

“Quand on fait des inventaires en fin de saison, il y a des années où l’on ne trouve pas de juvéniles. Si on n’arrive pas à protéger ces espèces même dans ces zones préservées, c’est à désespérer”

M. Dozon
Des dizaines de poissons morts dans une zone asséchée au niveau du pont de Tharaux. ABCèze.

Mais un lit de rivière asséché, ce n’est pas un simple danger pour la biodiversité. Dans de nombreux départements français, les alertes sécheresse se multiplient. L’eau se fait rare et doit ainsi être limitée aux usages nécessaires (eau potable, lutte contre les incendies…). En France, comme en Italie ou en Espagne, les premières restrictions s’appliquent en restreignant l’eau des fontaines, interdisant le lavage des voitures et limitant l’arrosage et l’irrigation. D’autant plus que dans les zones déjà touchées par la sécheresse sont les plus propices aux incendies et l’eau est doit par conséquent être consacrée à les éteindre. Dans les cas les plus graves, certains villages se voient même coupés d’eau potable (comme Villars-sur-Var) et doivent être alimentés par citernes.

En Italie, où l’état d’urgence a été déclaré dans 5 régions; la situation des cours d’eau préoccupe les autorités et populations. Le débit du fleuve Pô a ainsi chuté de 72% et la Lombardie se retrouvera bientôt sans eau pour ses usages agricoles. Le cruel manque de pluie (aucune précipitation en quatre mois) et le fait que la mer adriatique remonte de plus en plus dans les terres fait que les ressources d’eau douce deviennent rares.

En mai, la moitié des cours d’eau en France avaient 40 % d’eau en moins que d’habitude, selon le dernier bilan hydrologique du ministère. La situation se dégrade visiblement d’année en année : 35 départements ont émis des restrictions en usage d’eau, c’est-à-dire 20 de plus que les deux années précédentes. 

 

De la sécheresse aux incendies.

Les vagues de chaleur et canicules assèchent les sols, affectent les récoltes, forcent les végétaux à plonger dans leurs réserves, les rendant moins résistants face aux futurs évènements. “Incendies et sécheresses répétés ne cumulent pas seulement leurs effets, ils les aggravent mutuellement, limitant la résilience des forêts. L’aléa ne doit donc plus être considéré comme unique, ponctuel, mais divers, répété, combiné, multiple.”

Aucun écosystème ne semble épargné et tous se transforment. La résilience des forêts est ainsi mise à l’épreuve, face aux incendies, à la fragilisation des sols qui les rend plus en proie aux glissements de terrains, que la déforestation favorise, les racines des arbres n’étant plus là pour faire barrière. Par conséquent, le risque d’incendie est accru. La mort des jeunes arbres et la perte de feuilles et branches des plus vieux se profilent comme combustibles idéals.

Les causes structurelles 

Un des moyens de lutter contre les conséquences de ce dérèglement est ainsi de s’attaquer aux causes. Plutôt que d’intervenir ponctuellement pour résoudre une catastrophe, il semble pertinent d’y remédier structurellement.

Concernant le manque d’eau en Italie, un plan d’urgence a été annoncé par le Conseil des ministres avec une vingtaine d’interventions structurelles prioritaires. Une des principales préoccupations des autorités est la lutte contre l’excessive déperdition de réseaux hydriques. Non seulement l’Italie est le pays de l’UE dont la consommation moyenne d’eau par habitant est la plus élevée, mais également dont “le décalage entre l’eau introduite dans ses réseaux et celle effectivement distribuée aux consommateurs ou aux entreprises agricoles” est le plus massif : en moyenne à 30 % la déperdition d’eau (avec des pics de 46 % dans le sud) alors qu’elle n’est que de 5 à 8 % chez ses voisins européens.

Le fleuve Pô à sec près de Parme. Piero CRUCIATTI/AFP

Effectuer ces changements nécessaires est un processus coûteux, certes. Mais il restera moins coûteux que l’inaction. Sur la période de sécheresse de 2022, l’Italie est déjà à 2 milliards d’euros de perte au niveau agricole. 



Si certains effets du dérèglement climatique apparaissent inévitables, une partie des pertes (qu’elles soient économiques, agricoles, de biodiversité…) peuvent être évitées par la prévention, l’action en amont, la vigilance, la sensibilisation.

La sensibilisation, la part humaine de responsabilité et de possibilité d’action.

Individuellement, il est nécessaire de rester vigilant : 9 incendies sur 10 sont causés par la main humaine. Un mégot de cigarette jeté sur le bord de l’autoroute, un barbecue dans une zone hautement inflammable… 

D’autant plus que les incendies se déclarent dans des régions immunisées jusqu’à présent (Inrae), où la végétation est moins apte à se régénérer que dans les zones méditerranéennes par exemple, davantage habituées.

Cependant, avec la modification des écosystèmes, “il faut faire le deuil de ce que pouvaient faire les forêts auparavant” selon Lilian Duband et réimaginer “les scénarios de gestion face aux futurs climats possibles”. 

Il faut également diversifier les moyens pour ralentir cette percée de la sécheresse. Une intervention humaine qui viserait à “mélanger les espèces d’arbres, éclaircir ou rajeunir les peuplements, favoriser la diversité génétique, accélérer la migration naturelle, reboiser avec des essences adaptées…” pourrait limiter quelques effets ou renforcer la résilience de ces forêts.

D’autant plus que la période de risque incendie n’est plus limitée seulement à l’été, mais dès le printemps et jusqu’à l’automne. En France, la zone à risque dans le Sud-Est s’étendrait ainsi de 30% à la moitié de ce territoire.

Si l’on va devoir s’habituer à ces évènements de plus en plus nombreux, de plus en plus violents, cela ne signifie pas pour autant se résigner.

Un espoir se trouve dans la science. 

Dans un laboratoire à ciel ouvert en Corse, des équipes de scientifiques multiplient depuis le printemps des expériences et reproductions d’incendies contrôlés.

“Ce que nous essayons de faire, c’est d’étudier avec toute la rigueur nécessaire, en conditions réelles, le comportement d’un feu qui atteint une habitation, et de valider par la science une réglementation jusqu’ici établie sur les seuls dires d’experts” . 

Virginie Tihay-Felicelli, maître de conférences à l’université de Corse, responsable du programme

Il s’agit d’analyser, grâce à des capteurs, le comportement des incendies de forêt, des végétaux, des aérosols, des fumées… mais aussi de phénomènes dont on ne connaît pas encore tous les ressorts comme le “vent du feu” (souffle provoqué par l’incendie) ou encore les pyrocumulonimbus (nuages créés par certains mégafeux, susceptibles d’entretenir les feux-même.

“Autant de défis vertigineux à l’heure où le changement climatique, la montée des températures, la multiplication des périodes de sécheresse provoquent à travers le monde des incendies d’une ampleur et d’un nombre jusqu’ici inconnus”. Le nombre de départs de feu devrait progresser de 80 % en France d’ici à 2050.

Expérience sur le comportement d’un feu qui atteint une habitation. Université de Corse.